2009-08-06

C. Une PIERRE POUR la ROUTE (4.08.09).







Une PIERRE POUR la ROUTE






A 10 ans, on connaît l'essentiel
on ne peut l'exprimer


A 20 ans, on se croit plus vaste
que le monde
cela nous disperse


A 30 ans, on travaille durement
esclave de l'argent, d'une femme
ou d'une famille


A 40 ans, on se détache peu à peu
de ses fausses ambitions


A 48 ans, je vis pour écrire
et j'écris pour vivre


Je n'ai pas vu Patan, ni Pokhara
je n'ai pas randonné dans l'Annapurna
dans le massif de l'Everest
ces pétales chiffrés du Nepal


Je ne regrette rien de ce que je ne peux faire
je vis comme j'écris tambours battants
je n'ai pas vu Patan ou Pokhara
pour mieux écrire sur Bhaktapur
ou sur Pashupatinath...


Ecrire hors la vie n'est rien
vivre sans écrire est vivre moins





Lionel Bonhouvrier.

2009-08-05

B. HOMMAGE AUX TONGS (3.08.09).




HOMMAGE AUX TONGS




Je n'ai jamais pu les appeler
des claquettes
les tongs, cela sonne mieux -
sont les seules chaussures
vraiment indispensables
pour le voyageur en Asie du sud


Quand vous prenez une douche
les pieds nus sont déconseillés
rien ne vaut les tongs


A l'hôtel ou chez l'habitant
les chaussons sont superflus
gardez vos tongs


Au village ou en ville
les tongs sont idéales
remplacent les sandales


La mousson donnent aux tongs
une nécessité indiscutable
vous voyez-vous en botte ?


Dans la chaleur humide
les chaussures sont inadaptées
on les abandonne volontiers


Je randonne de plus en plus en tongs
à l'aise sur leurs semelles de caoutchouc
le pied léger, le coeur serein


Mais hier, heurtant une marche de béton
je me suis ouvert le gros orteil
j'étais en tongs...


Voir son propre sang irrite.
Sac sur le dos, j'ai voyagé en tennis.
Arrivé à Katmandou, pansement au pied
je reste fidèle aux tongs.



Lionel Bonhouvrier.

A4. PASHUPATINATH et la LUMIERE (3.08.2009).





PASHUPATINATH et la LUMIERE




Chaque soir, sur les ghats face au Temple d'or, trois prêtres mènent la fête de la Lumière, en l'honneur de la Bagmati.
La fête débute au crépuscule, mais les gens commencent à s'installer une heure avant.


Les trois jeunes prêtres arrivent sur l'espace central, ou de nombreux objets de cérémonie sont en place.
Ils frappent dans leurs mains, la musique jaillit des hauts parleurs, le public se met à chanter.


Deux fosses latérales débordent de fidèles debout, qui chantent, crient, reprennent les refrains, font plus de bruit que tous les spectateurs réunis...


Cette fête est de pure poésie.

La musique, les chants, la gestuelle des prêtres - porteurs de lumière - remontent loin dans le temps, aux origines de nos terreurs, de nos espoirs.

Il y a ces flammes balayant l'espace, illuminant la nuit, qui laissent des traces évanescentes de lumière.

Il y a ces chants, refrains repris par la foule, ou palpitent la terreur sacrée, le conflit de l'eau et du feu.

Il y a la reviviscence nocturne des rites - ce style social ou chaque geste importe, laisse sa marque indélébile dans l'esprit.

Le tintement métallique des coupelles, le ballet aérien des fouets touffus, l'appel rauque des conques, le tourbillon cosmique des chandeliers en feu - tout devient prière, appel et espérance indissolubles, au plus profond de la nuit - vers la lumière.

Lionel Bonhouvrier.

2009-08-02

A3. CREMATION à PASHUPATINATH (2.8.2009).





CREMATION à PASHUPATINATH




Comment faire disparaître les corps ?
A Pashupatinath, telle est la question cruciale.
Partout sur cette planete, cette question exige des réponses concrêtes.


En Occident, nous enterrons souvent les cadavres.
Les vers travaillent lentement et en silence.
Discrétion assurée - d'où la paix des cimetières.
Les crématoriums se multiplient, mais leurs cérémonies funéraires sont peu spectaculaires.


A Pashupatinath, les bûchers funéraires sont publics.
On pense aux peines capitales de l'Europe médiévale, quand les sorcières, Juifs et hérétiques, avaient - aux moments de crises sociales - le privilège d'être brûlés vifs en public.
Comment se débarrasser des cadavres ?
A défaut de les enterrer, on peut les brûler.
L'air en garde constamment une odeur caractéristique...


Pour alimenter les bûchers, il faut d'énormes quantités de bois.
Des véhicules déposent sur les berges des fagots de bois.
Une sangle tendue sur leur front, tel le joug frontal des boeufs, des femmes portent sur leur dos ces volumineux fagots jusqu'au plus près des bûchers.
La logistique est prête à résoudre la question des corps.


Comme à Bénarès, il est recommandé de mourir à Pashupatinath.
La famille porte le cadavre sur un brancard en contrebas du Temple d'or.
Les préparatifs commencent.
J'y assiste depuis l'autre rive, côté oriental.
On dépose le brancard à un emplacement spécial des ghats, perpendiculaire à la pente, près de la Bagmati.
Le mort, habillé, est entouré d'un linceul blanc.



On dépouille le cadavre de ses vêtements.
On le recouvre d'un linge orange, couvert d'inscriptions.
On descend le brancard jusqu'à l'eau, le cadavre est aspergé, puis on le repose à sa place initiale.
Ses proches offrent, chacun à leur tour, une guirlande de fleurs, de la poudre rouge, se recueillent.
Ensuite le brancard est transporté vers l'aval, ou plusieurs autels de pierre sont prévus.



Sur l'autel se dresse un bûcher.
Les porteurs y déposent le mort, que l'on arrange au mieux.
Un spécialiste allume le feu.
La crémation commence, veillée par deux personnes (sans compter la famille), qui activent le feu avec une perche.


Plusieurs bûchers brûlent en même temps, dégagent une fumée épaisse, qui fait fuir à plusieurs mètres.
Les odeurs suffoquent, collent à la peau et aux bronches.
Beaucoup plus tard, quand la famille pleure l'incinéré ou se dispute ses biens, les cendres sont jetées dans la rivière vers l'aval.
Le feu et l'eau, éléments de Shiva, permettent de faire disparaître les corps.


Lionel Bonhouvrier.

A2. La BAGMATI à PASHUPATINATH (2.08.2009).



La BAGMATI à PASHUPATINATH





Les plus belles villes du monde sont traversées par au moins une rivière ou un fleuve.
A Pashupatinath, la Bagmati possède au Népal un caractère sacré équivalent à celui du Gange en Inde.
Y mourir est très bénéfique, comme à Bénarès, coeur hindouiste de l'Inde.


Au bord de la Bagmati, sur les ghats du Temple d'or, on asperge les cadavres en public.
Ensuite on les brûle un peu plus loin sur des bûchers.
En même temps, des femmes déchargent dans la rivière de pleins paniers de détritus.
La Bagmati sert de poubelle à ciel ouvert, mais ses eaux fort polluées restent sacrées...


Le coeur religieux de Pashupatinath comprend deux ponts très proches.
On ne cesse de les franchir toute la journée.
La Bagmati n'est pas un obstacle à la circulation entre les deux rives.
Je traverse aussi deux autres ponts contruits plus en aval.
L'un me permet de rejoindre le dharamsala, où je dors, directement depuis la rive opposée à celle du Temple d'or.


Sur les ghats de la Bagmati, la vie est très active.
Des groupes d'enfants s'amusent et se baignent. Certains sautent d'un pont, ce qui est très apprécié par les passants.
Des habitants nettoient leurs enfants, se lavent, essorent leur linge. Le savon mousse...
L'eau aurait besoin d'un bon nettoyage aussi...

Les ghats sont encombrés d'hindous préparant leur panier d'offrandes, contenant des fleurs, des fruits, de l'encens, une bougie allumée.
Ils se recueillent, prient, font un voeu, lancent leur offrande sur les eaux courantes de la Bagmati.
J'ai vu cela partout : sur la Yamuna à Mathura, sur le Gange à Rishikesh ou Uttarkashi, sur la Mandakini ou sur l`Alaknanda...
A chaque fois je suis ému par ce message aquatique, la flamme très vite éteinte.
Mais la fragile coupelle flotte encore...
Que les dieux aient le coeur bien placé et des oreilles pour entendre !

Brahmanes et sadhus hantent aussi les ghats.
Ils donnent audience et conseils, reçoivent hommages et petits cadeaux.
Chacun s'affaire, le temps s'écoule tel qu'en lui-même, pourtant chaque fois différent...
Les touristes prennent des photos, on essaye de leur soutirer autant de roupies que possible.
Chacun est à sa place, les dieux ne peuvent abandonner les mendiants.

Lionel Bonhouvrier.

A1. PASHUPATINATH, la SHIVAITE (2.08.2009).



PASHUPATINATH, la SHIVAITE




La ville de Pashupatinath, située à 6 km de Katmandou, est l'un des centres les plus sacrés du Népal.
Pashupati est un des nombreux noms de Shiva.
Il signifie "Gardien des âmes asservies".
Shiva les protège, les stimule sur la voie de la délivrance.
Dans le Mahabharata, Arjuna obtient de Shiva l'arme la plus destructrice. C'est Pashupata.
Elle peut être lancée par l'esprit, la parole ou un arc.

Chaque année en hiver, tous les sadhus du Népal se rassemblent à Pashupatinath pour la Shivatri ("la nuit sainte de Shiva").
On les reconnaît facilement à leur tenue souvent orange, leurs cheveux longs, regroupés en chignon. Trois traits horizontaux marquent leur front.
Renonçant au monde, ils mendient pour vivre. Ils portent une gibecière, une boîte métallique et parfois un trident.


Les sadhus mènent une recherche spirituelle, tels Shiva l'ascète, maître du yoga.
Shiva réduit en cendres le dieu de l'amour charnel.
Bhairava, terrifiant et nu, Shiva est absorbé en lui-même dans l'indifférenciation primordiale.
S'il suit héroïquement la voie du vide, le renonçant accède à cet absolu, débouchant sur une joie indicible.
Certains sadhus sont considérés comme des saints et vénérés comme tels.


D'autres sont des imposteurs, prenant l'habit d'ermite pour parasiter les touristes, proies faciles. Devenir un yogi de haute volée demande davantage d'efforts et de compétences...
Quelques individus pittoresques semblent déguisés en sadhus, tant le soin de leur apparence domine toute autre considération !
Leur drogue narcissique s'ajuste à l'obsession photographique des touristes.
Difficile d'être plus exhibitionniste et cabotin.
J'ai rencontré leurs cousins, posant pour une photo contre des roupies, à Katmandou, maraudant autour de Durbar Square...


Représentant d'abord le côté destructeur de la Trimurti, Shiva a pris davantage d'importance par la suite.
Aujourd'hui, on l'associe aussi à la création (Brahma est ravalé à un rôle moindre).
A Pashupatinath, on retrouve partout les symboles de Shiva.


Le plus gros taureau nandi est dans la cour du Temple d'or, réservé aux Hindous.
Je n'ai donc pas pu le visiter.
Mais de l'entrée, on peut admirer le postérieur doré d'un énorme nandi, doté de bijoux de famille respectables (a-t-il, à la lettre, des couilles en or ?)
Dans le vaste domaine de Pashupatinath, les nandis pullulent, devant les temples, ou éparpillés dans les jardins.

Un autre symbole omniprésent est le lingam, associé au yoni.
Le plus gros que j'ai découvert est situé en aval des deux ponts, constituant le coeur du site avec le Temple d'or.
Construite sur une grande tourelle de briques oranges, c'est une sculpture imposante.
Elle est posée de biais, en surplomb et inclinée vers la rivière.
Ainsi le sperme cosmique s'écoule dans la Bagmati, comme le lait des offrandes.


Grâce à son troisième oeil, Shiva peut réduire quiconque en cendres.
Ce symbole est particulièrement vénéré à Pashupatinath, où l'on brûle les cadavres sur des bûchers, au bord de la Bagmati.
On respire sans cesse les fumées de ces bûchers, leurs odeurs fortes mêlées de cendres...


On peut citer comme autres symboles de Shiva : le trident et le tambourin.
Mais aussi le cobra royal, le lion ou le lotus.
Shiva est dénommé sur chaque pétale de chaque lotus.


Pashupatinath est lieu de pèlerinage pour les sadhus, comme pour les Hindous en général.
Ils dorment souvent dans des dharamsalas, dont les prix sont accessibles.
Et les repas peuvent être gratuits.


Quand j'arrive à Pashupatinath, je demande à des passants où je peux trouver une chambre.
Un jeune homme me répond :
-"Ici, c'est réservé aux Hindous ! Il faut remonter vers Gaushala ! Guesthouse !"
Deux hommes approuvent, goguenards...
-" Non, je veux dormir ici, pas à Gaushala ! Et dans un dharamsala ! Où en trouve-t-on ?"
Certains refusent de répondre, détournent la tête...
Mais un homme m'indique le chemin d'un dharamsala, dans le village même de Pashupatinath.


A l'office du dharamsala, mêmes réticences !
Le manager me regarde avec stupeur :
-"Ce n`est pas possible. Nous n'avons pas de chambre pour vous !"
-"Mais ce dharamsala est immense ! En Inde, j'ai l'habitude de dormir en dharamsala. Je connais les règles. Vous n'aurez aucun problème..."
Je mène la négociation avec ténacité, présente de solides arguments.
Finalement, j'emporte le morceau.
Le manager regarde son associé d'un air impuissant...
Il hoche la tête, c'est d`accord pour une chambre...


Je passe deux nuits dans une chambre minuscule.
La nuit, impossible de dormir à cause des conversations, des chants...
Au matin, de multiples démangeaisons me prouvent que des bestioles variées s'activent de nuit...


A mon retour le soir, je retrouve l'assistant dans ma chambre !
En réalité, mon cadenas ne servait à rien. Leur système débile de fermeture permet de l'escamoter...
Aussitôt, je fonce me plaindre auprès du manager :
-"J'ai loué une chambre, pas un hall de gare ! Ma chambre est privée ! Personne ne doit y entrer !"
Le manager m'approuve, hoche la tête...


Plus tard, un peu avant minuit, démangé de partout, j'écris comme un possédé, quand je me retrouve nez à nez avec une souris !
Du coup, je comprends qui a grignoté le trou au bas de ma porte...


Lionel Bonhouvrier.